• La théorie du loup solitaire...

    Letireur

    Tout commence par la rhétorique. Les mots peuvent être des armes. C’est par ses mots que la violence s’alimente. La violence des mots enfle et éclate dans les cerveaux du fanatisme jusqu’au passage à l’acte et à la barbarie.  Après une série de propos racistes et haineux, une violence pour l’instant muette fait la Une des journaux. Un individu s’en prend à la presse et pour le moment on ne compte qu’une victime tombée sous les balles d’un tueur dans les locaux du journal Libération : un jeune assistant photographe qui se trouvait au mauvais endroit et au mauvais moment. Il lutte contre la mort dans un hôpital parisien.

    Aucune revendication n’a été faite. Une violence pour l’instant sans voix. Quelles sont  les cibles ? Une chaîne télévisée, un journal et une banque. On peut penser à une motivation politique, à des actes symboliques contre la presse et la finance. On nous parle une fois encore d’un loup solitaire, comme Mohamed Merah. Quelle est la description de l’auteur des faits : un homme de 30 à 40ans, 1m70 à 80, de type européen, cheveux coupés raz, casquette… S’agit-il d’un déséquilibré ? Pour en savoir plus, nous attendrons ses revendications, son appartenance idéologique et le pourquoi de ses actes criminels. Il faudra pour cela qu’il soit identifié et interpellé, ce qui arrivera un jour ou l’autre et le plus tôt sera le mieux.

    Peut-on se contenter de la théorie du loup solitaire ? Ce type d’agissement criminel, sans faire d’amalgame hâtif, devrait faire réfléchir sur le déversement de violences verbales, de racisme et de xénophobie. Dans quel monde vivons-nous ? Un monde où la violence fait partie des jeux électroniques interactifs qui comptent les morts comme des points gagnants. Un monde dont la valeur suprême est l’argent. Un monde où la xénophobie et le racisme se banalisent jusque dans le discours de politiciens qui se disent républicains. L’Extrême-droite progresse nous dit-on. A qui la faute ? La violence atteint des degrés élevés. A qui la faute ?

    Lorsque l’on traite quelqu’un de singe ou de guenon, c’est qu’on veut le mettre « hors humanité ». C’est le processus d’animalisation, de bestialisation de l’Autre. C’est une violence verbale, une régression sociale et un retour aux mentalités des esclavagistes. Il est pourtant loin le temps où l’on massacrait les Amérindiens en prétextant qu’ils n’avaient pas d’âme et qu’ils étaient donc des animaux. L’insulte raciste et la xénophobie ne sont pas que l’exclusion d’un pays mais aussi une exclusion de l’humanité. On connaît le processus… On exclue d’abord le Juif, l’Arabe, le Noir et le Jaune. Ensuite on exclue celui qui refuse d’exclure. La chasse est ouverte !

    Bien sûr un individu peut tuer par méchanceté, par sadisme, par jalousie, par intérêt et aussi par folie. Au bout du compte, il y a forcément une responsabilité individuelle mais aussi collective.  Il faut se poser la question : « Comment une société peut-elle engendrer des monstres ? » Est-ce que la Norvège s’est interrogée sur la tuerie commise par le tueur en série fasciste Anders Behring Breivik ? Il a été reconnu sain d’esprit et condamné à 21 ans de prison avec une peine de sureté de 10 ans. Il a tué 77 personnes au total et n’a jamais montré le moindre signe de repentir.  Au contraire, il a dit qu’il recommencerait. Ce procès a ignoré toutes les pistes d'enquête qui pointent vers la véritable nature des actes de Breivik : le racisme et le fascisme. La théorie du loup solitaire ferme le dossier.

    Breivik a pourtant déclaré qu'il faisait partie d'un mouvement de « résistance » anti-islamique et anti-communiste, qui lutte contre «la dictature marxiste» en Norvège. Quelques heures après avoir mené le massacre, il a été révélé que Breivik avait envoyé un «manifeste » de 1500 pages à mille contacts sur Internet, tous membres de groupes d'extrême-droite en Norvège et dans toute l'Europe, et que Breivik appelle des «patriotes d'Europe occidentale». Anti-islamique, anti-communiste sont des revendications de l’extrême-droite française qui accuse le gouvernement socialiste d’être marxiste. Une partie de la droite s’aligne sur cette politique d’exclusion pour des raisons d’intérêts plus qu’idéologique.  Bien sûr, des dirigeants de la droite et du FN emploient des mots choisis pour ne pas heurter mais ce sont ces mots-là qui banalisent l’exclusion.

    A l’heure qu’il est, nous ne savons rien de la personnalité de l’homme le plus recherché de France. Son geste est barbare et imbécile. Apparemment il n’a rien à voir avec un Mohamed Merah. Nous n’avons pas voulu faire l’amalgame  avec le tueur norvégien mais parler du passage à l’acte violent  qui est souvent la conséquence de la violence verbale, baromètre social d’une démocratie. Ceux qui distillent la haine et en font un argument électoral portent une responsabilité sur le passage à l’acte d’individus violents qui trouvent une justification politique à leurs crimes. Il suffit d’aller lire certains propos sur les forums de l’Internet pour mesurer le danger des dérives fascisantes.

    Hier, l’affaire de Libération a mobilisé toute la presse. Les éditions spéciales ont occupé le PAF toute la journée pour suivre la traque du tireur meurtrier qui de chasseur est devenu chassé. La chasse est devenue plus importante que la réflexion sur ce qui s’est passé. Il fallait privilégier le spectacle même si rien ne se passait. Les commentateurs se sont succédé sur des images montrant des va-et-vient de policiers et un hélicoptère en vol stationnaire au dessus des champs Elysées. On nous a tout expliqué des méthodes d’enquête comme on expliquerait les règles d’un jeu télévisé.  Pour le moment la seule victime est dans un état critique mais toujours en vie et comme l’a dit le philosophe Vladimir Jankélévitch : « Un vivant est en vie tant qu’il n’est pas mort et cela jusqu’à la dernière seconde ». Pourtant c’est la mort que l’on nous donne en spectacle sans débat de fond sur la violence. En  dehors des déclarations sur une atteinte intolérable faite à la liberté de la presse et donc à la démocratie, seul le rédacteur en chef de Libération a évoqué cette violence ambiante qui, chaque jour, gravit des degrés. Hier un homme a franchi le Rubicon. Il est passé à l’acte con. Son arrestation ou sa mort ne règleront pas le problème de la violence dan une société ultralibérale qui met les hommes en concurrence, aggrave les inégalités et se cherche des bouc-émissaires. On fait tout pour que l'homme reste un loup pour l'homme.

    Aucun acte de violence n’est justifiable en dehors de la légitime défense dicté par l’instinct de survie. Par contre il est toujours nécessaire de s’interroger sur la violence comme un fait de société et non pas seulement comme celle de loups solitaires qui arrange tout le monde. Il faut toujours rappeler la violence économique. L’instinct de violence lié à une agressivité hormonale n’est pas le plus important, car la violence la plus significative, c’est la violence historique où les Hommes deviennent victimes d’une non - maîtrise des conditions de leur existence. Or comme l’histoire montre que l’Homme peut acquérir cette maîtrise, il n’est pas totalement utopique d’affirmer qu’il pourrait arriver, par la connaissance des causes, à une suppression relative de la violence….Qu’en pensez-vous ?...

    Pidone

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