• Selon que vous soyez puissant ou misérable...

    fraude_sociale

    La Cour de Luxembourg avait été saisie en 2013 par le tribunal social de Leipzig, en Allemagne, à propos d’un litige opposant à deux ressortissants roumains, Elisabeta Dano et son fils, Florin, à l’agence pour l’emploi de Leipzig. Celle-ci refusait de leur octroyer des prestations sociales. Dans un arrêt, publié mardi 11 novembre, la Cour de justice européenne établit un lien direct entre droit de séjour et droit à bénéficier des prestations sociales dans un pays. Elle énonce clairement le fait qu’un ressortissant d’un pays de l’Union ne respectant pas toutes les conditions ouvrant à un droit de séjour dans un autre pays européen peut s’y voir refuser des prestations sociales.

    L’Europe libérale mise en place par les lobbies financiers s’enlisent dans ses contradictions et des inégalités de traitements. Les États membres de l'Union ne sont pas tenus d'octroyer des prestations sociales à des citoyens d'autres États membres ne se rendant sur leur territoire que dans le but de bénéficier de l'aide sociale. Circulez, il n’y a rien à percevoir !

    L’abus du principe de libre circulation entre États membres de l'Union européenne  et son  détournement  en "tourisme social"  auraient favorisé une poussée des formations europhobes, qui font campagne pour une limitation de l'immigration. Devant cette poussée au Royaume-Uni,  le Premier ministre David Cameron a annoncé qu'il souhaitait limiter l'immigration en provenance des autres pays de l'UE, au mépris de ce principe de libre circulation des personnes. Dans la presse anglaise, il a même été question d’expulsions. La chancelière allemande Angela Merkel et des milieux d'affaires britanniques ont pris la mouche et David Cameron a rapidement salué mardi la décision de la Cour de Justice de l’UE, une décision de "bon sens" selon lui. Tout est rentré dans l’ordre. Il suffisait de redéfinir la libre circulation des Européens.  Le principe de libre circulation signifie le droit de se déplacer. Ce n'est pas le droit d'avoir accès librement aux prestations sociales d'un pays membre, et la décision de la Cour a confirmé cela. La Cour de justice européenne a jugé qu'un citoyen d'un État membre de l'UE qui migrerait dans un autre État membre ne pourrait bénéficier de prestations sociales que si son séjour était conforme à la directive européenne sur la libre circulation. Les États membres ne sont pas tenus d'octroyer des prestations sociales à des citoyens d'autres États membres venus pour bénéficier de l'aide sociale...

    A l’assemblée européenne un amendement prévoit de créer un fichier géant, qui en croisant les fichiers sociaux, détectera les fraudes. La création de ce fichier a été proposée par le député UMP Pierre Morange[1], président de la mission d'évaluation et de contrôle des lois de financement de la Sécurité sociale.  La mesure a été votée récemment à l'unanimité par les 39 députés présents à l'Assemblée. Alors que le contrôle des chômeurs va être renforcé, il s'agit cette fois-ci de dénicher les fraudes aux prestations sociales grâce à la création d'un 'super' fichier qui entrera en vigueur en 2016. En croisant tous les fichiers sociaux des particuliers, il sera capable de détecter de possibles fraudes. Ce fichier Big Brother recevra de manière automatique les données sur les montants reçues par les particuliers dans le cadre des prestations sociales et sanitaires.

    Ce n’est plus l’immigration qui est montré du doigt. Les abus d’aide sociale seraient une fraude gigantesque, la plus grande plaie de nos démocraties. Est visé tout particulièrement le « tourisme social ».  Quelle hypocrisie ? Alors que l’UE a favorisé le dumping social et le dumping fiscal, elle cherche des boucs émissaires pour s’attaquer à l’aide sociale tout en donnant raison à l’extrême-droite européenne et aux nationalismes. Ils ont créé la libre circulation des capitaux, la libre circulation des consommateurs, la libre circulation des travailleurs déplacés, la libre concurrence des salaires, la libre concurrence de la fiscalité… mais il s’agit maintenant de supprimer la libre circulation des pauvres et des malades. L’Union européenne ne fait pas dans l’humanité, elle fait dans la finance, tout en tenant compte de la montée de l’extrême-droite. Au lieu de trouver des solutions solidaires au niveau européen tout en luttant contre toutes les fraudes, il est plus facile de désigner des boucs émissaires et de se servir de la fraude pour remettre en cause des acquis sociaux.

    La directive cherche à empêcher que les citoyens de l'Union inactifs utilisent le système de protection sociale de l'État d'accueil pour financer leurs moyens d'existence, selon la Cour européenne. Cette nouvelle directive xénophobe concerne les Européens. Il nous semblait que la fraude vise autant les nationaux que les expatriés. Et bien non ! Alors imaginez pour les autres venus de la misère et de la guerre ! La question ne se pose pas au niveau de l’Europe. Les Italiens doivent continuer à repêcher des corps sur leurs plages et à jeter des bouées de sauvetage aux survivants. A Calais, les immigrés doivent continuer à s’entasser pour traverser illégalement la Manche. Heureusement que des associations et des gens charitables  apportent leurs aides humanitaires. Au Royaume-Uni, on ne veut pas trop d’Européens et de moins en moins des clandestins, sauf s’ils travaillent sans prestations sociales et sans aucune garantie d’emploi et de salaire. Cette idée s’est largement exportée alors que la solidarité est facilement oubliée.

    La meilleure façon de saper la légitimité de la protection sociale, c’est de laisser entendre qu’elle ressemble à une passoire. Face à la petite armée des « parasites » s’en dresse ainsi une autre, plus massive et pas coûteuse: celle des personnes qui n’accèdent pas aux prestations auxquelles elles ont droit. 5,7 milliards d’euros de revenu de solidarité active (RSA), 700 millions d’euros de couverture-maladie universelle complémentaire (CMU-C), 378 millions d’euros d’aide à l’acquisition d’une complémentaire santé, etc., ne sont pas versés à ceux qui devraient les toucher. Une étude de 2004 de l’Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) a estimé que le taux moyen de non recours aux aides ou aux programmes sociaux oscillait entre 20 et 40 % selon les pays. Le non recours massif a permis à Margaret Thatcher et à ses héritiers de justifier des coupes franches dans les budgets sociaux, en arguant de l’inutilité des dispositifs proposés à la population.

    La fraude sociale est surmédiatisée. Au Royaume-Uni où elle est le plus décriée,  le ministère du travail et des retraites a consacré contre cette fraude un budget de 425 millions de livres (environ 500 millions d’euros) sur quatre ans (2011-2014), pour un gain escompté de 1,4 milliard de livres sur la période.

    Enregistré le 29 juin 2011, le rapport Tian, du nom du député de l’Union pour un mouvement populaire (UMP) Dominique Tian, rapporteur de la mission d’évaluation des comptes de la Sécurité sociale (3), évoquait  4 milliards d’euros de fraude aux prestations, contre 16 milliards d’euros aux prélèvements et 25 milliards d’euros d’impôts non perçus par le Trésor — ces deux formes de truanderie étant l’apanage des entreprises et des contribuables fortunés. La fraude des pauvres est une pauvre fraude au regard de la fraude fiscale qui représente en France 50 milliards d’euros par an. Aujourd’hui, les fraudes sociales des particuliers seraient évaluées à 5 milliards d'euros sur les 80 milliards de prestations versés chaque année en France, ce qui correspond au déficit de l'Assurance maladie, certes, mais aussi au tiers des fraudes aux prélèvements et au 1/5ème d’impôts non perçus par le Trésor. Si on compare les fraudes des particuliers et des entreprises : 5 milliards pour les particuliers et 20 milliards pour les entreprises qui frauderaient 4 fois plus.

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    Deux poids, deux mesures ! Malgré le scandale des accords secrets passés par l’administration fiscale du Luxembourg et des multinationales et l’existence de paradis fiscaux, membres de l’Union Européenne, c’est un ancien premier ministre et ministre des finances du paradis luxembourgeois qui a été élu Président de la commission européenne. Malgré des enquêtes ouvertes sur les pratiques fiscales déloyales du Luxembourg, de l’Irlande, des Pays-Bas, de Chypre, leurs pratiques fiscales sont légales grâce à ce que l’on nomme le « tax ruling »,  possibilité légale de demander des devis fiscaux et de choisir ainsi le pays le moins disant en matière de fiscalité. Si ces paradis fiscaux sont montrés du doigt, leurs pratiques fiscales ont été encouragées par l’Union européenne dont ils sont des membres influents.

    La Cour européenne vient de démontrer une fois encore l’adage tiré des « Animaux malades de la peste, écrit par Jean de la fontaine : « Selon que vous serez puissant ou misérable, les jugements de cour vous rendront blanc ou noir ».

    Il ne s’agit pas d’admettre les fraudes sociales mais faut-il encore les mettre toutes en lumière et évaluer la réalité financière de celles contre lesquelles on focalise l’opinion publique pour justifier des décisions inutiles ou hypocrites, tout en masquant des fraudes grandement plus importantes et ayant pour raison le seul profit financier.

    U barbutu



    [1] Pierre Morange est le porteur de la loi dite « Morange » qui fera obligation aux propriétaires et locataires d’avoir au moins un détecteur de fumée dans les habitations en 2015. Les industriels des  détecteurs avertisseurs autonomes de fumée (DAAF) vont s’en mettre plein les poches pour une mesure préventive qui ne concerne que peu de foyers dont les logements présentent des risques d’incendie. C’est aussi cela le libéralisme économique qui contraint à consommer. C’est pourtant Pierre Morange le pyromane qui a allumé le feu de la fraude sociale pour faire de la fumée médiatique d’une campagne contre la pauvreté en proposant un « big fichier » dont on peut craindre les utilisations.

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