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La mondialisation du sport
C’était le centre du monde il y a un peu plus d’un mois, c’est désormais une ville fantôme. Dans les rues de Sotchi, un peu plus d’un mois après les Jeux Olympiques d’hiver, le paysage a bien changé. Rues désertes, bâtiments vides, structures laissées à l’abandon, les seuls signes de vie semblent provenir des quelques rares ouvriers restés sur place et occupés à démanteler certains bâtiments. Le coût des installations à la gloire de Vladimir Poutine s’élève à 50 Milliards de dollars, un montant voisin du prix social de l’austérité française décidé par Valls et Hollande.<o:p></o:p>
Le blogueur russe Alexander Valov s’est promené dans les rues de Sotchi, son appareil photo en bandoulière. Pour voir les images cliquer ICI.
Après la Russie, on remet cela au Brésil pour la coupe du monde de football. Si le pays aux millions de pauvres a entrepris de lourds investissements (14,5 milliards de dollars était le budget annoncé) pour accueillir cet évènement mondial, il a aussi mené une politique massive d'expulsions forcées et d'expropriations, rappelait Geneviève Garrigos, présidente d'Amnesty International France. Les grands travaux ne sont pas qu’une question d’investissements comme cela fut le cas en Chine pour les Jeux olympiques de 2008, ou à Sotchi en Russie dernièrement. Les expulsions touchent en particulier les couches sociales les plus vulnérables, les plus démunies L’Etat brésilien s’est attaqué aux favelas et à ses habitants en prenant le prétexte de la criminalité. Cela touche des milliers d’individus dont la majorité vit à Rio de Janeiro. Les habitants des favelas sont stigmatisés et pour certains représentants de la municipalité, la Coupe du monde 2014 de football et les futurs Jeux olympiques de 2016 sont une opportunité pour effectuer des "opérations de nettoyage social", détruire certaines favelas pour embellir la ville voir même réaliser des projets immobiliers de standing. Albert Camus, fan de foot, a dit que le sport rend heureux. Pour lui il n’y avait pas d’endroit où l’homme est plus heureux que dans un stade. Aujourd’hui le sport est une industrie. Si les Brésiliens aiment le football, ce n’est pas celui de la mondialisation qui maintient leur plus grand nombre dans la misère, ce n’est pas ce Mondial qui les expulse des favelas en stigmatisant leurs habitants. Ces derniers n’ont pas les moyens financiers d’assister aux matches. Leur présence aux alentours du stade menace la sécurité, nous dit-on. Derrière des arguments sécuritaires, s’organise la spéculation immobilière. 200 000 personnes ont été expulsées de leur logement. Des quartiers entiers ont dû laisser place à la construction de stades et d'infrastructures comme des routes ou des aéroports. Parfois, les personnes disposaient de seulement 24 heures pour quitter leur maison. Celles ou ceux qui refusaient de partir ou qui opposaient de la résistance étaient évacué-e-s par la police. Certains logements ont été démolis sans avertissement préalable.<o:p></o:p>
http://youtu.be/aAX0zSfrJK4<o:p></o:p>
Plusieurs journalistes se sont étonnés du silence des médias français après l'appel au calme, pour le moins maladroit, lancé par Michel Platini à destination des Brésiliens à un mois et demi du début du Mondial. <o:p></o:p>
A Paris, en marge d'un comité de pilotage de l'Euro 2016, le président de l'UEFA a appelé la population brésilienne à une trêve durant la période de la Coupe du Monde, du 12 juin au 13 juillet. "Il faut absolument dire aux Brésiliens qu'ils ont la Coupe du monde et qu'ils sont là pour montrer les beautés de leur pays et leur passion pour le football. Et s'ils peuvent attendre un mois avant de faire des éclats un peu sociaux, ça serait bien pour le Brésil et pour la planète football" a osé dire l'ancien numéro 10 de l'équipe de France et ajouté : "Le climat est tendu donc il faut qu'on lance un appel au Brésil : faites un effort pendant un mois, calmez-vous, rendez hommage à cette belle Coupe du monde. On a été au Brésil pour leur faire plaisir".
Il faut rappeler que les récentes émeutes ont secoué ce pays dans lequel une partie de la population critique vivement le coût de la Coupe du Monde. Alors que la population brésilienne souffre, Michel Platini leur demanderait presque de faire la fête et, pour la magie du football, de danser et chanter dans un Mondial carnavalesque au lieu de dénoncer les investissements du foot. Vive le folklore et le foot ! Copacabana, doit rester une carte postale, un monde magique, des plages et des filles. Le Brésil a été choisi pour cela. Alors dansez et souriez. La Fifa vous regarde".
La grande presse a vite escamoté le mépris de Platini pour le peuple des favélas, à l’exception de quelques journalistes sportifs comme Pascal Praud. Rien ne doit gâcher l’organisation mercantile du Mondial. Si Michel Platini a enchanté les aficionados des stades à une époque où les footballeurs ne gagnaient pas des millions d’euros, il a su faire une carrière et obtenir la présidence de l’UEFA qui n’est pas une fonction bénévole. Pascal Praud dit de lui : « Les médias français ont canonisé saint Michel. Son passé de footballeur justifie cette clémence, mais pas seulement. Platini est craint. Peur des représailles. Peur d'être mis à l'index. Plus d'interviews. Plus de rendez-vous. Platini déteste la contradiction. Il n'oublie rien. Il est puissant. On le dit rancunier. Autant de raisons de faire profil bas. La bien-pensance a des indignations sélectives ».
Ainsi Michel Platini dispose de la bienveillance de la plus grande partie des média et, au Brésil, les autorités peuvent poursuivre les expulsions et les injustices sociales. On en est toujours à la politique romaine des jeux du cirque, sauf que ces jeux sont devenus des industries du loisir et génèrent des profits énormes alors que leur coût est souvent social.
Les grands événements internationaux enrichissent les milliardaires du sport qui ne se soucient absolument pas des conséquences politiques et sociales qu’ils engendrent. Qui pourra s’offrir la coupe du Monde au Brésil, lorsque l’on en connaît le coût ? Qui profitera des retombées financières en dehors de chaînes hôtelières et de l’industrie du sport ? Les plus pauvres pourront toujours s’acheter des tee-shirts ou, en économisant, les maillots de leur équipe fabriqué à bas coût en Thaïlande, au Maroc ou au Bengladesh (Le coût humain ne compte pas) et revendu à prix d’or dans les boutiques franchisées. Au Bangladesh, les ouvriers sont payés 24 centimes de l'heure pour produire un tee-shirt qui arrive dans l'Hexagone pour 2.50 euros. Nike a mis 40 millions d'euros sur la table de la Fédération Française de Football pour apposer sa griffe sur le maillot frappé du coq. Adidas, équipementier de l'équipe de France depuis quarante ans a perdu l'appel d'offres du maillot des Bleus pour 2011-2018 au profit de Nike. La surenchère des offres démontre que le marché est juteux pour l’industrie textile et les fédérations nationales et internationales du football.
L’Histoire se souvient des Jeux olympiques dans l’Allemagne nazie et de la période qui a suivi. Cet exemple, à lui seul, démontre que ce type de manifestation ne fait que renforcer la politique du pays dans laquelle elle se déroule et bat en brèche la prétention à y faire progresser la démocratie. Le choix est financier.
On l’a vu en Russie. On le voit au Brésil. On ne peut taire les complicités des instances internationales du sport et de la presse sportive dont l’apolitisme est une hypocrisie de plus. Dans le monde merveilleux de la Fifa, on imagine jouer au football par 50° au Qatar, des ouvriers meurent en construisant des stades, mais que vaut la vie d'un Népalais chez les Qatari, celle d’un habitant d’une favela brésilienne à l'aune d'une Coupe du monde ?
Nous sommes loin des vertus du sport et les instances qui le représentent dans différentes disciplines s’en éloignent davantage à chaque événement international. Les enjeux financiers ont pris le pas sur la morale collective mais aussi individuelle. On le voit avec le dopage et les tricheries qui ont parfois défrayé l’actualité sportive.
Fucone
Tags : Sport, Sotchi, Brésil, Qatar, Platini, foot, favelas, Mondial, jeux olympiques, spéculation, immobilière
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