• La précarité, fléau social.

    La précarité devrait être une situation qui ne dure pas et pourtant ce terme a pris une autre connotation puisqu’il désigne d’une part un mal endémique de la société ultralibérale qui veut installer les travailleurs dans une précarité durable et d’autre part la misère qui  s’est installé et se répand. L’action des pouvoirs publics reste décevante et l’aide vient de la solidarité à travers des associations comme les restos du cœur.

    Les restos du cœur ont été créés en 1985 et ne font pas partie d’une chaîne hôtelière. Leur chaîne est celle de la solidarité. Nous sommes en 2013 et ils sont toujours là avec leurs clients de plus en plus nombreux parmi lesquels on rencontre des retraités dont les pensions sont insuffisantes mais aussi des jeunes. En Corse, ce ne sont pas moins de 454.000 repas qui ont été distribués lors de la campagne 2011-2012 à quelques 4.217 personnes vivant sous un statut social précaire.

    Pauvreté n’est pas vice. La Corse a toujours eu des pauvres mais ils n’étaient pas misérables. Ils demandent sans cesse et avec juste raison de vivre décemment. Aujourd’hui, même si la misère est moins dure au soleil, elle s’est installée en Corse. Elle ne s’affiche pas et, si des associations comme les restos du cœur, n’étaient pas présents sur l’île, nous n’en saurions rien. Tandis que sur le continent, l'association rencontre des problèmes d'approvisionnement, en Corse la solidarité permet de répondre à l'afflux massif des bénéficiaires. Plus de 10.300 repas sont distribués chaque semaine en Corse-du-Sud.

    Les jeunes, les plus âgés et les familles monoparentales continuent de souffrir le plus. Depuis 2007 le taux de pauvreté a fortement progressé dans l’île. La publication des données pour 2007 – basées sur les déclarations d’impôts de 2008 – montrent une forte hausse de la pauvreté en Corse cette année là. Le taux (dit taux à 60 %, qui est généralement pris pour référence) est passé en effet de 19,3 % des ménages de l’île à 20,4 %. Depuis lors la Corse détient le record national et, d’autre part, la progression  y est la plus marquée. Pour mémoire en 2004, le taux était estimé à 17,7 % (attention toutefois, un changement de méthodologie est intervenu en 2005). La forte hausse de la pauvreté est principalement imputable à une nette dégradation de la situation pour les ménages retraités. La pauvreté en Corse touche principalement les plus jeunes et les plus anciens. De plus, la situation des familles monoparentales, dont près du tiers vit sous le seuil de pauvreté, est critique.

    La précarité s’est installée durablement en Corse et le marché de l’immobilier y ajoute une crise du logement. Pourtant, la Corse a connu des taux de croissance de son PIB bien supérieurs à ceux observés au plan national. Avec une moyenne de 3,6 % de progression annuelle entre 1997 et 2007, contre +1,7 % pour l’ensemble de la France, l’île s’est distinguée. On aurait pu s’attendre à un recul de la pauvreté. Or, l’Insee nous indique l’inverse, mettant en évidence un décalage entre les indicateurs macroéconomiques et la mesure du niveau de vie. Le PIB ne fait que calculer la création de richesses dans une année. Ce gâteau est ensuite partagé entre les salariés, les entreprises et l’État, sous forme respectivement de rémunérations – incluant les cotisations salariales et patronales –, de profits et d’impôts (impositions indirects et sur les sociétés). La Corse a donc créé paradoxalement plus de la richesse mais aussi plus de la pauvreté. Par ailleurs, l’île profite de l’économie touristique mais celle-ci a son revers : la hausse des prix et la spéculation immobilière. Il devient de plus en plus difficile de travailler et de se loger en Corse, pendant que les résidences secondaires s’y multiplient (44 % du marché de la construction neuve en Corse). De nombreuses personnes âgées sont touchées. Lors d'un récent reportage à la radio, une personne âgée disait avoir 1500 € de retraite avec 700 € de loyer et avouait qu'elle était obligée de manger dans les rayons en faisant ses courses. Du côté des ventes de logements, ça ne va pas fort. L'activité dans la promotion patine et cela se retrouve dans la progression des stocks de logements neufs. Ils atteignent mi-2012 un nouveau record avec plus de 1 400 logements invendus. Dans le même temps, les ventes tombent au plus bas depuis 2008.

    Le constat que la pauvreté progresse a été fait quand les premiers Restos du cœur ont ouvert sur le continent. Auparavant on pensait qu’en Corse, la solidarité familiale ou de voisinage jouait en prenant en charge les pauvres. La société corse a pris du retard dans la prise de conscience. C'est une société qui niait la misère.

    Jadis, il n’y avait pas de seuil défini de la pauvreté. Aujourd’hui, le seuil de pauvreté est de 649 € mensuels pour une personne seule. Le soleil corse ne doit pas masquer des cas de détresse et de désespérance bien réels. La Corse a un niveau de vie inférieur à celui du continent. La sous déclaration des salaires fait que des gens se retrouvent avec une retraite minorée.  Dans les campagnes, il n’existe plus d’autosubsistance alimentaire.

    La misère est aussi le résultat de 30 ans de politique dévoyée et qui n'a pas vu venir la crise. Les mauvaises perspectives économiques et les politiques menées depuis 30 ans incitent à l’individualisme, au repli identitaire et à la désignation de bouc-émissaires. Il conviendrait de dire aux élus que les réformes qui ont un but essentiellement comptable aggravent la destruction des liens sociaux et augmentent la misère. L'Etat ne joue plus son rôle d'amortisseur social et de protecteur.  Les marchés financiers ont réduit les marges de manœuvre politiques. Toutes les mesures pour essayer de lutter contre la précarité ont toujours été contestées par le patronat et la droite. On se souvient que Michel Rocard, par exemple, a été critiqué pour le RMI, solution pourtant nécessaire et que provisoire à l’époque. Les déficits sociaux seraient illégitimes alors que le bien public doit admettre certains déficits.  Les revenus du capital doivent autant contribuer à l'effort collectif que les salaires. Or, malgré les assertions du Messieurs Ayrault et Hollande, nous n’en sommes pas encore arrivés à cette justice fiscale promise.

    Il ne faut plus que la précarité serve à dissuader les revendications des salariés alors qu’elle est utilisée comme une arme dissuasive contre les acquis sociaux et les revendications salariales. En Corse où le secteur porteur est le tourisme, les jeunes sortis de l'école hôtelière ne sont pas embauchés parce qu'ils sont trop chers. C’est un exemple significatif des pratiques salariales insulaires qui incitent à l’exil les jeunes qualifiés et diplômés. Pour travailler en Corse, il faut accepter d’être sous-payé, sans développement de carrière et sans progression de salaires. Par ailleurs le tourisme offre des emplois saisonniers et donc le CDI est écarté. Tout cela fait le nid de la précarité qui arrange cyniquement ceux qui s’enrichissent en exploitant les travailleurs à qui on peut dire « marche ou crève ! Tu devrais déjà être bien content d’avoir un travail. »

    Il est inconcevable que la charité soit la seule réponse à la progression de la précarité.  La responsabilité des hommes et des femmes politiques est grande dans son développement. L'écart entre les plus riches et les plus pauvres se creuse. La solidarité disparaitra peu à peu car la précarité s'étend et favorise l’individualisme. Les associations ne peuvent enrayer la pauvreté à elles seules. Elles luttent contre les effets de la pauvreté mais pas sur les causes. La prise en compte de la pauvreté et de ses causes doit se faire par l'Etat et de la collectivité territoriale corse.

    Lors de sa séance publique des 26 et 27 juillet 2012, l'Assemblée de Corse a arrêté les grandes orientations et la stratégie d'élaboration du PADDUC qui « se donne comme ambition prioritaire de fournir à chaque citoyen, au sein de la société insulaire et dans chaque territoire, les chances les plus équitables de vivre et de s’épanouir sur cette terre ». Nous vous renvoyons à l’article paru à ce sujet en cliquant ICI.

    Battone.

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