• Le centenaire du génocide des Arméniens

    chataigne_grenadeDimanche dernier, le Pape François a officiellement reconnu le génocide des Arméniens. Aujourd’hui lundi 12 avril 2015, en Corse, l’Assemblée corse a voté à l’unanimité une motion déposée par Femu a Corsica pour la reconnaissance de ce génocide.

    Le 24 avril 1915 est la date de commémoration du génocide des Arméniens. Nous sommes en 2015 et cela fait cent ans que l’Etat turc refuse le terme de génocide, qui a pourtant été inventé en référence à ce génocide pour organiser le procès de Nuremberg après la Shoah. Malgré toutes les preuves qui ont été apportées et la prise de conscience d’une partie du peuple turc dont des historiens et des intellectuels, le négationnisme a ses propagandistes et pas seulement en Turquie. Il est clair que toutes celles et ceux qui continuent à dire qu'il faut laisser les historiens faire leur travail et refusent le mot "génocide" sont des négationnistes. Cent ans! Le travail est fait depuis longtemps. Les témoignages ont été recueillis et pas seulement ceux des rescapés. Un travail a été fait par les historiens qui se sont intéressés à la question, contrairement à ceux qui servent la propagande de l'Etat turc. Il suffit de taper le mot « génocide » sur Internet pour avoir accès à des tonnes de documents. La nation turque, née de l'empire ottoman en déroute, s'est constituée sur un génocide et les Nationalistes turcs refusent cette réalité, préférant pratiquer le lobbying négationniste et proférer des menaces diplomatiques. Ils ont leurs alliés économiques et politiques, notamment l’Allemagne dont la responsabilité est établie dans le premier génocide du 20ème siècle et qui a, par la suite, sombré dans le nazisme et un autre génocide, celui des Juifs. Cent ans, c'est trop ! Comme on le dit en Corse: "U troppu stroppia"... Le trop estropie... Trop, c'est trop!

    En Corse, vivent des Arméniens et des Arméniennes. Les mariages mixtes ne sont par rares. On peut citer le chanteur Patrick Fiori, de mère corse et de père arménien. Des affinités se sont souvent nouées entre Corses et Arméniens, lors de leurs études ou de leurs vies professionnelles. Que partageons-nous ? D’abord l’appartenance à des minorités dont l’existence a toujours été menacée.

    Dans l’histoire de la Corse, l’époque des invasions barbaresques a connu des exactions similaires à celles commises pendant le génocide des Arméniens, même si la barbarie n’a pas atteint le nombre de morts d’un génocide. Que signifie le terme « barbaresque » employé à l’époque. Au XIXe siècle? Il désignait les pirates opérant dans le bassin méditerranéen après la conquête musulmane qui fit de la Méditerranée un vaste lac musulman. Les cités du Sud de la Méditerranée sont passées sous domination ottomane du fait du développement de l'empire turc sur le monde arabo-musulman. Ces cités, principalement Alger, Tunis, Bizerte et Tripoli, deviennent alors les derniers foyers de piraterie pratiquée par les musulmans en Méditerranée, et ce jusqu'au XIXe siècle. Le développement économique de ces cités est lié à l'activité de piraterie sur une très longue durée. La Corse n’a pas été épargnée. Les tours « génoises » ont été érigées sur tout le littoral, pour signaler et empêcher les débarquements des islamo-turcs car ceux-ci avaient kidnappé plus de 1000 Corses pour les conduire en esclavage au Maghreb. C’est du reste cette néfaste activité ottomane qui incita les Corses à porter sur eux des armes en permanence ! Des islamisations forcées existaient déjà, sans parler des assassinats barbares. Des expositions temporaires sur ces invasions ont été programmées par le Musée de préhistoire de Sartène et organisées en Corse en 2012.

    On parle de devoir de mémoire alors que le  mot « mémoire » devrait suffire à opposer au mensonge et l’amnésie internationale. La mémoire impose toutefois un devoir de réflexion sur l’héritage parfois lourd transmis d’une génération à une autre. Notre propos n’est pas d’apporter du fiel au moulin de l’islamophobie, en revenant sur des invasions lointaines mais de rappeler une période de la Corse et d’une barbarie qui a atteint son paroxysme à la fin du 19ème siècle et au début du 20ème siècle en Turquie. Je le fais non pas pour légitimer quoi que ce soit mais pour illustrer que l’amnésie, le négationnisme et le mensonge empêchent toute réflexion et donc tout progrès de l’humanité. Hitler et les Nazis ont commis la Shoah après l’expérience génocidaire turque à laquelle les Allemands ont assisté lorsqu’ils étaient présents en Turquie pendant les massacres de masse. Le silence international les a confortés dans l’idée que la communauté internationale tairait et oublierait la Shoah comme le génocide des Arméniens, sur lequel une chape de plomb est tombée jusque dans les années 1970. Même en Arménie, république soviétique jusqu’en 1991, le sujet est resté tabou jusqu’en 1965 pour des raisons politiques.

    On cite le génocide des Arméniens comme le premier du XXème siècle. Même si celui des Arméniens a débuté par des premiers massacres au XIXème, ce triste déshonneur revient pourtant au génocide perpétré par l’Allemagne coloniale en Namibie à partir de 1904. C'est le premier génocide oublié du XXème siècle et également la première fois que l’Allemagne utilisa des "camps de concentration". Les Allemands avaient rencontré une vive résistance des Autochtones. L'historien Casper Erichsen a déclaré récemment : " Ce qui s'est passé en Afrique pour les Allemands était une bataille pour l'avenir des races. Si la race blanche voulait dominer, alors elle devait se battre contre la race noire et l'éliminer". Aujourd'hui l'Etat allemand garde un silence complice sur le génocide des Arméniens, sans doute parce que leurs militaires étaient présents en Turquie au moment des massacres dans le cadre de leur alliance militairen et pour des raisons économiques.

    Depuis lors d’autres génocides ont été perpétrés (Cambodge, Rwanda, Bosnie…etc) On voit aujourd’hui cette barbarie resurgir avec ce qui se passe en Irak et en Syrie. Le terrorisme djihadiste s’est internationalisé.

    Plus que jamais, les minorités devraient montrer leur solidarité dans un monde globalisé qui préfère oublier les génocides et encourage le négationnisme. Le négationnisme encourage la barbarie. Les Djihadistes reproduisent aujourd’hui les atrocités commises pendant le génocide des Arméniens.

    La Corse a été soumise à de multiples invasions et à des guerres meurtrières. Sur trois cent mille résidents corses, quatre-vingt dix mille sont d’origine insulaire ancienne. Une grande partie des descendants corses forment une diaspora. Même loin de leurs racines, les Corses restent attachés à leur généalogie comme les Arméniens. Nos origines corses devraient naturellement nous amener à être solidaires des Arméniens. Leur histoire tragique est celle d'une minorité culturelle qui se bat pour sa dignité et sa culture ancestrale, alors que Turcs ont voulu effacer d'Anatolie leur présence et leur généalogie. Les Arméniens sont les descendants d’une des plus vieilles civilisations. Leur alphabet remonte à 405 après J.C. Il ne reste qu’une partie orientale de l’Arménie qui a été constituée d’abord en république soviétique, avant l’effondrement de l’URSS, soit 1/10ème de la superficie historique. Pour des raisons économiques et de sécurité, l’Arménie occidentale est resté liée à la Russie et, une grande partie de ses habitants sont dans la pauvreté avec, pour seul espoir, l’émigration vers un pays riche. N’est-ce pas ce qui a poussé les Corses à s’expatrier ? Les Arméniens, comme les Corses, ont l’esprit de famille et respectent leurs morts. Leur culture est millénaire et, malgré les destructions ottomanes, elle est toujours bien vivante dans chaque foyer arménien et perpétué par des associations actives, comme la JAF à Marseille, issue de la résistance en 1945 et qui honore toujours la mémoire de Missak Manouchian, évoqué dans l’Affiche rouge, poème d’Aragon mis en musique par Jean Ferrat, traduit en corse par Jacques Fusina et chantée par Jacky Micaelli.

    Des relations se sont tissées entre Arméniens et Corses. En 2011,  l’Associu Scopre en collaboration avec l’Association Culturelle Arménienne des Pennes Mirabeau et en partenariat avec Tavagna Club, avait organisé trois journées d’échanges entre la Corse, l’Arménie et le Karabagh. A partir du 18 avril prochain, France 3 Corse a prévu une belle programmation à l’occasion du centenaire du génocide des Arméniens.

    Nous savons qu’il existe, entre nos peuples,  bien des points communs en commençant par la cuisine, la passion de tous les arts, de la poésie et de la musique. I muvrini, dans leur album «  vô lu mondu » (je vais le monde) chante  un couplet avec le chanteur arménien du groupe Bratsch (I Muvrini - Lluis Llach & ghabarian, corse - catalan – arménien)…

    U ventu dice un tu nome

    Da rompe a chjostra di tu campa…

    Calvacu mari è corgu mondi…

    Les mers défilent au long du voyage

    Pour découvrir la liberté

    Ma vie s’arrime à tant de peuples

    Tantôt en lutte ou en prière

    A tant d’attente, à tant d’espoir

    Pour la lumière qui reviendra...

    E vô lu mondu

    Le génocide des Arméniens et la lutte contre le négationnisme ne doivent pas être des enjeux politiques, économiques et géopolitiques. Ce sont des questions qui intéressent toute l’humanité. Dans le dernier roman de Jérôme Ferrari, on retient notamment que le Mal (dont le nazisme et la Shoah est l’illustration apocalyptique) est toujours à l’œuvre dans le monde contemporain et l’humanité subit la corrosion des innocences premières. Il « fait entrer en résonnance le dernier conflit mondial et une modernité rongée par les passions économiques ».

    L’écrivain d’origine corse, couronné par le Goncourt en 2012,  met aussi en exergue une citation du poète Soufi al-Niffari: "Entre le silence et la parole, il y a un isthme où se trouvent la tombe de la raison et la tombe des choses ».  Cela peut exprimer, à nos yeux,  où situer aujourd’hui le négationnisme en Turquie : encore entre le silence et la parole. Toutefois la parole officielle n’est que mensonge.

    Du poète musulman, je passe, pour clore le propos, à un poète arménien qui a écrit : «  Il y a des aigles pétrifiés sous les ruines et un peuple au cœur duquel il y a des tombes muettes comme l’abîme » (Vehanoush Tekian). Lorsque l’on ne peut se résoudre au silence, il ne reste que la métaphore.  Les Arméniens, comme les Corses, ont leurs poètes et leurs chants.

    U barbutu "le 24 avril prochain je serai un Arménien".

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