-
Lettre ouverte à François Hollande
Edouard Martin responsable syndical Cfdt à Florange ArcelorMittal a adressé une lettre au président de la République. Nous en publions le contenu.
Monsieur le Président,
« Depuis des mois maintenant, nous nous battons pour notre avenir, celui de nos enfants, celui d’une Région qui n’en finit pas d’être accablée par les mauvais coups. A ce stade de notre combat je vous écris pour que soit connue et comprise notre vision des choses, de manière exhaustive, non tronquée et non déformée.
Nous voulons par cette lettre dénoncer tous les mensonges et toutes les absurdités qui se succèdent depuis des mois. Et nous voulons vous faire connaître ce qui, à notre avis, est la vérité.
Les mensonges
- Dire qu’une usine continentale n’est pas rentable est faux. Parmi les sidérurgistes européens, plusieurs n’ont qu’une seule usine, continentale et rentable. Voest Alpine à Linz en Autriche, US Steel à Kosice en Slovaquie, Salzgitter près de Hanovre en Allemagne et même Thyssen à Duisburg en Allemagne.
- Dire que Florange est une usine trop petite pour être rentable est faux. La plupart des usines continentales sont d’une taille voisine de celle de Florange.
- Grâce aux accords de Matignon avec Mittal on maintient l’emploi. C’est faux. Il n’y aura pas de plan social parce que la pyramide des âges de l’usine conduira au départ naturel de plus de 600 personnes en trois ans. Dès lors, faire un plan social coûterait plus cher à Mittal qui devrait payer les indemnités de licenciement puis, avant trois ans, embaucher 600 personnes et payer le prix très élevé de leur formation. Ne pas avoir de plan social est une bonne chose, mais ce n’est pas une victoire.
- On fera Ulcos. C’est faux. On nous dira dans deux ans ce qu’on nous dit aujourd’hui : que les chercheurs n’ont pas trouvé. Eux n’ont pas la parole, c’est Mittal qui parle pour eux.
- On fera 180 millions d’euros d’investissements. C’est faux. Même le texte des accords de Matignon le dit. Ce montant contient les dépenses d’OPEX (dépenses opérationnelles) et de maintenance. Ce qui reste pour les investissements stratégiques est insuffisant. Et même la maintenance n’est plus faite correctement, les dépenses ont été divisées par deux depuis 2008 et Florange, comme Gandrange naguère et la plupart des usines de Mittal, est une usine qui se dégrade à vue d’oeil.
- On renforcera la filière packaging (acier pour emballage). C’est faux. Ces aciers sont en concurrence avec l’aluminium. L’augmentation très forte des prix des minerais et du charbon les a rendus moins compétitifs. Mittal a trois usines pour fabriquer ces produits en Europe du Nord : Liège, Florange, et Basse-Indre près de Nantes. Elles sont chargées à 40 %. Et Mittal a promis de renforcer la filière de LIEGE en contrepartie de l’arrêt des Hauts Fourneaux, il a promis de renforcer la filière de Florange en contrepartie de la fermeture des Hauts Fourneaux et i l a promis de pérenniser la filière de Basse-Indre. A qui ment-il ? Aux Wallons, aux Lorrains, aux Nantais ? ou aux trois ?
- En fermant la filière chaude de Florange, on consolide Dunkerque. C’est faux. On alimentera le 3ème Haut Fourneau de Dunkerque avec du coke de Florange. Ce sera donc un Haut Fourneau « continental ». Et même deux fois « continental » puisque le charbon sera venu de Rotterdam à Florange pour faire du coke qui sera réexpédié à Dunkerque.
Les absurdités
- C’est un sommet dans l’absurdité : vouloir vendre une usine d’agglomération du minerai, deux Hauts Fourneaux et une aciérie. Sans la cokerie ! Alors que, pour faire de la fonte, il faut mélanger du minerai et du coke ! C’est tellement « gros » que les pouvoirs publics demandent à Mittal d’inclure la cokerie. Il accepte. Formidable !?
- On va proposer à la vente une usine, à Florange, pour fabriquer des brames, sans les laminoirs. Qui peut consommer de brames, ces blocs d’acier de 20 tonnes ? Les sidérurgistes qui les laminent. Ont-ils besoin de brames ? Non, ils en ont tous un peu trop en Europe. Peut-on les exporter ? Non, car, même au Brésil, en bord de mer, sur le minerai, ceux qui en fabriquent, Mittal en particulier, n’ont pas de client aujourd’hui. C’est donc absurde de chercher à vendre une usine à Brames, mais on va essayer de le faire ! Pendant deux mois et en mobilisant toutes les ambassades !
- Le plan Mittal pour le packaging français et, notamment, l’usine de Basse-Indre. C’est un jeu de piste : on prend le charbon à Rotterdam, on l’amène à Florange pour y faire du coke, on amène ce coke à Dunkerque pour faire des brames, on ramène ces brames à Florange pour faire des bobines que l’on amène à Nantes Basse-Indre pour les étamer et faire du fer blanc. Et on va expliquer à Basse-Indre, à qui on supprime 60 emplois, que leur produit sera compétitif !
- On veut nous faire croire que si les chercheurs trouvent, on fera Ulcos. Ulcos est un projet européen, financé par la CEE, la France et, pour un tiers, soit 200 Millions d’euros, par le privé (Mittal ou autre). Personne ne mettra d’argent privé dans Ulcos tant que la tonne de C02 s’échangera à 7 € et qu’il en faudra peut être le double pour faire fonctionner Ulcos (électricité, maintenance, etc ...). Quel investisseur privé ira convaincre ses actionnaires de dépenser 200 Millions d’euros dans Ulcos, et, si ça marche, de perdre 15 à 20 millions d’euros par an si on le fait fonctionner.
Et même si la CEE et la France veulent tout payer à M . Mittal, pourquoi mettre 600 millions d’euros dans un démonstrateur qui sera arrêté après les essais, car installé à Florange sur une filière à un seul Haut Fourneau, donc non compétitive. On aurait donc construit la machine à séparer le CO du C02, 40 à 80 km de gazoduc pour aller de Florange jusqu’en Meuse, une station d’enfouissement pour tout mettre à la ferraille à la fin des essais, au bout de 18 mois peut-être. Quelqu’un dira que c’est gâcher l’argent du contribuable français et du contribuable européen et il aura raison.
C’est absurde. Ulcos n’a de sens que sur des Hauts Fourneaux pérennes. Nous voulons à Florange des Hauts Fourneaux pérennes et puis Ulcos, s’il est mis au point et financé.
Après tant de mensonges et tant d’absurdités, il est temps, Monsieur le Président, de se concentrer sur la vérité.
La vérité
La vérité c’est que l’usine de Florange est compétitive, y compris sa filière chaude, ses Hauts Fourneaux, son aciérie. Ce n’est pas un slogan syndical. C’est ArcelorMittal qui le dit en 2011, juste avant de nous arrêter les Hauts Fourneaux. Avant coût d’acheminement des matières, c’est la meilleure et, après ces coûts, c’est la deuxième des cinq usines d’Europe du Nord. La vérité c’est que Monsieur Faure avait raison dans son rapport. La vérité c’est que, par conséquent, un plan de reprise de Florange est crédible.
La vérité c’est que l’usine de Florange, comme le dit ArcelorMittal, compense par ses performances techniques et, au-delà, les coûts d’acheminement des matières. Par exemple, nos chaînes d’agglomération du minerai, conçues pour enrichir du minerai lorrain pauvre en fer, peuvent utiliser les minerais plus pauvres dont personne ne veut et qui sont moins chers. Plus le prix des matières premières augmente, plus le prix de l’énergie sera élevé, plus Florange renforcera l’avantage qui est le sien au plan de la maîtrise technique.
La vérité c’est que Florange n’a aucun handicap logistique au bout du compte puisque c’est une usine dont les clients sont à l’Est (PSA Sochaux et Mulhouse, Mercedes, Audi, BMW, Opel etc .. en Allemagne). Florange a été tournée vers l’Est dès sa création. Sollac était une coopérative dont l’un des membres (Forges et Aciéries de DILLING) était allemand, qui a apporté son fonds de commerce allemand. Après la fusion Usinor Sacilor, Florange a accentué sa vocation à l’Est puisque Dunkerque pouvait satisfaire les clients du Nord de la France. En conséquence, les matières premières qui viennent de Florange ne font pas un kilomètre de trop.
Pour Dunkerque ou Gand, livrer les clients allemands oblige à passer par Florange. Puisque Florange est aussi compétitive que Dunkerque, d’après la courbe d’ArcelorMittal, c’est que Florange est plus compétitive au final, puisqu’il est plus près des clients. La vérité c’est que M . Mittal va supprimer 800 emplois si on englobe la filiale Gepor et que plus de mille emplois de sous-traitants seront supprimés si la filière chaude est arrêtée. De nombreuses sociétés spécialisées dans les métiers de l’acier (par exemple Efuba qui s’occupe des réfractaires) vont déposer le bilan. La vérité c’est qu’une des filières de packaging va disparaître.
La vérité c’est que les Français se font berner par Mittal. Mittal fait 35 MT en Europe, la moitié du marché. En face de lui : deux moyens, plusieurs petits continentaux. Il ne peut pas faire de guerre des prix, si l’acier baisse de 10 €/tonne, il perd 350 millions d’euros par an. Donc, il réduit sa taille tout en restant à des prix élevés et en saturant ses usines restantes, il gagne plus ou maintient ses profits. Il possède 42 % du groupe.
Évidemment, ses co-actionnaires sont d’accord. Plus il gagne, plus eux aussi gagnent, et après Liège, c’est au tour de Florange pour deux raisons au moins : La 1ère c’est que Mittal a des alliés internes dans son raisonnement. Ils sont Flamands, ils dirigent Mittal Europe du Nord et ils n’ont de cesse de renforcer et de protéger l’usine de Gand.
Pour la saturer en toutes circonstances, quoi de mieux que fermer Liège et ensuite Florange, et ensuite de laisser le 3ème Haut Fourneau de Dunkerque devenir continental puisqu’alimenté par du coke venant de Florange ! Ce faisant, s’il n’en reste qu’un, ce sera à Gand. La 2ème c’est qu’il est beaucoup plus difficile de fermer une usine allemande, même moins compétitive que Florange, parce qu’en Allemagne la sidérurgie est en co-gestion avec les syndicats.
Au Conseil d’administration, Mittal a le même nombre d’administrateurs que les syndicats. S’il n’est pas d’accord avec eux, c’est l’administrateur neutre qui fait pencher la balance. Il n’y a aucun cas dans l’histoire où l’administrateur neutre a décidé la fermeture d’une usine contre les syndicats.
C’est improbable. Mittal ne va pas s’y risquer contre les syndicats. Donc, on fait payer Florange. Ça fera du bruit, mais ça se fera quand même, pense Mittal.
Seul dans notre système français, le gouvernement peut l’empêcher. Le gouvernement laissera-t-il faire ?
Monsieur le Président, après vos promesses, nous laisserez-vous être sacrifiés sans comprendre et arrêter cette mécanique à nous broyer ?
Nous voulons reprendre notre destin en mains. Notre usine est viable. Elle est au top niveau mondial. Monsieur Faure vous l’a dit. Un plan de reprise vous a été soumis qui a été validé par Monsieur Montebourg, ministre du Redressement productif, et ses services. Car Florange c’est 1,5 milliards d’euros de chiffres d’affaires par an. C’est 600 millions d’euros de valeur ajoutée dont les trois quarts sont exportés et améliorent la balance commerciale de la France.
Mittal en France, c’est la disparition inexplicable de la moitié des profits d’ArcelorMittal Atlantique et Lorraine de 2007 à 2008 alors que le marché était à son zénith ? Où sont-ils passés ? Ils profitent à qui ? A Mittal ? A un autre pays européen ? A un autre pays plus lointain ? Est-ce là l’origine du litige fiscal de 1,3 milliards d’euros dont on a parlé ? Que devient ce litige ?
Pourquoi ArcelorMittal Atlantique et Lorraine n’a-t-il pas déposé, à notre connaissance, ses comptes 2011 ? Les responsables financiers français les ont-ils seulement signés ? Nous attendons de votre part des réponses à toutes ces questions.
Nous ne voulons plus de ces mensonges, plus de ces absurdités, plus de ce brouillard, de ces embrouilles fiscales ou financières. Nous voulons retrouver le chemin de la vérité, celui qui nous donnera un avenir.
Je vous prie de croire, Monsieur le Président de la République, en l’expression de mes sentiments les plus respectueux. »
Edouard Martin
Tags : Mittal, Floranges, Hollande, Syndicat, Martin
-
Commentaires