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Pourquoi un super-procureur?
Quelles suites politiques sont données à l’affaire Cahuzac. On nous a annoncé une loi sur la transparence avec obligation pour les élus de publier leurs patrimoines. Les ministres se sont déjà exécutés et des élus l’ont fait spontanément. Il est évident que cette mesure est loin d’être suffisante. Malgré cela, elle a eu ses détracteurs et ses récalcitrants au sein même de la Gauche. François Hollande avait annoncé la création d’un Parquet spécialisé ayant pour objectif de mieux lutter contre la corruption et la fraude fiscale. Le projet de loi sur la création d'un parquet financier national a été présenté au dernier conseil des ministres. Un procureur spécialisé avec une compétence nationale pourra agir sur les affaires de corruption et les grandes fraudes fiscales. François Hollande avait annoncé sa mission dans son discours d’avril dernier: "Il conduira, coordonnera toutes les enquêtes sur ces graves infractions, ce qui aura le mérite, à la fois, de la concentration des moyens et de l'efficacité des procédures". Il s’agit donc d'un "super-procureur" spécialiste de la délinquance financière que constituent la corruption et la fraude fiscale.
Le président de l'Union syndicale des magistrats (USM), Christophe Régnard est dubitatif et s’interroge dans le journal Le Figaro: "Un parquet financier? Je ne comprends pas ce que c'est! Pour l'instant, c'est une espèce d'ovni. Le procureur aura la main haute sur tout. Ce qui revient à dire que l'on concentre dans les mains d'un seul homme les faits de fraude et de corruption au niveau national. C'est dangereux. Quelle sera son autonomie au niveau politique?"
Imaginons le juge Philippe Courroye nommé à ce poste sous le quinquennat de Nicolas Sarkozy ? Concentrer la corruption et la fraude fiscale entre les mains d’un seul juge du Parquet semble augmenter les risques de pressions exercées par l’Exécutif. En outre rien n’est changé en matière d’action publique puisqu’elle est suspendue au dépôt d’une plainte par le ministère des Finances. On a bien vu avec Jérôme Cahuzac et Eric Woerth que le Ministère des finances pouvait être juge et partie avec la possibilité de conserver les dossiers dans les archives, de ne pas ordonner des enquêtes sur les signalements de TRACFIN ou de ne pas donner une suite pénale à une enquête administrative en choisissant de ne pas déposer plainte et de procéder à une transaction à l’amiable qui restera confidentielle. Lorsque l’on parle de « dossiers sensibles » au Ministère des finances, c’est qu’il y a des interventions ou des risques politiques. On donne à ces dossiers un traitement extraordinaire qui échappe à la Justice.
La seule nouveauté dans la nomination de ce procureur spécialisé est sa compétence nationale, ce qui laisserait penser qu’un office central de lutte contre la fraude et la corruption pourrait également voir le jour. Le procureur et l’office pourront être saisis des affaires et enquêter sur tout le territoire national.
Toutefois la toute puissance du ministre des finances doit cesser, tout comme celle du ministre de l’Intérieur. Un service comprenant des agents des impôts et des policiers spécialisés devrait être sous l’unique contrôle des magistrats.
Seuls les juges d’instructions sont indépendants et garantissent un traitement objectif des dossiers judiciaires. Le système des pools judiciaires semblent une bonne formule pour garantir l’intégrité et l’indépendance des juges. On l’a vu lors de la mise en examen de Nicolas Sarkozy. On constate aujourd’hui que le nombre des juges spécialisés en matière financière a diminué comme celui des policiers des brigades financières. Jusqu’à présent la volonté politique de lutter contre les cols blancs n’était pas de mise.
La publication des patrimoines des élus et la création d’un Procureur spécialisé ne sont pas des réponses suffisantes pour moraliser les mœurs politiques. Déjà il faut que la Justice aille jusqu’au bout de toutes les affaires en cours. La moralisation de la politique passe par la loi et l’indépendance de la Justice. Elle nécessite des moyens juridiques et humains suffisants. Elle passe aussi par l’ouverture d’enquêtes judiciaires sur les 3000 noms de titulaires français de comptes suisses et par une réglementation des circuits financiers et des banques. Les paradis fiscaux doivent communiquer les noms des titulaires des comptes offshores. Il faut que les délinquants financiers ne bénéficient plus d’une impunité qui les encouragent à frauder. Puisque l’on parle d’impunité, il faut revenir aussi sur les immunités des élus et des gouvernants, y compris sur celle du chef de l’Etat.
Fucone
Tags : Justice, réforme, procureur, corruption, fraude fiscale, moralisation, politique
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